Ô NUIT DE L’AMOUR OBSCUR
concert-lecture
26 Rue du Tumulus
CARNAC
jeudi 4 septembre | 17H
Antoine Thiollier, lecture
Clément Mao – Takacs, piano
PROGRAMME
SAINT JEAN DE LA CROIX
La Noche oscura / La Nuit obscure
Llama de amor vida / Flamme d’Amour vive
Canción del Alma / Chanson de l’Âme
FEDERICO GARCIA LORCA
Sonnets de l’Amour obscur
FEDERICO MOMPOU
Préludes
Paysages
Canción del Alma
Dire l’amour et la peine : voilà qui pourrait définir le travail du poète comme du musicien. Un être émet à destination d’un autre être des messages qui peut-être ne lui parviennent pas ou qui ne seront pas ouverts : et alors ? L’essentiel, c’est que ces messages soient envoyés, et qu’ils parviennent, parfois avec des siècles de retard, à quelqu’un qui a besoin justement de les lire pour se comprendre, se déchiffrer, se calmer et s’apaiser.
Car le Poème est, avant toute chose, envoi : mot(s)-note(s) que l’on adresse, qui, comme une carte postale, peuvent se tromper, s’égarer, s’abîmer voire revenir à son expéditeur. Demeure ceci, qui a été écrit : à d’autres le soin de le rassembler, peut-être parce qu’ils y ont trouvé quelque chose qui leur ressemblait. Ce quelque chose circule à travers l’espace et le temps, entre deux vies et plusieurs morts, entre différentes mains qui préservent, cachent, exhument, assemblent, publient, démontent, remontent, partagent des feuillets clandestins.
Quelque chose circule donc, s’élance et matérialise ce lien invisible, ténu et pourtant si fort, qui unit parfois malgré eux deux êtres : poème et musique (« poèmusique ») rendent compte de cet intervalle, de cette distance entre deux points, et nous pouvons enfin apercevoir tout ce qui les lie – chaîne, guirlande, cordon, fil, tissage et tressage, lacs d’amour ; ainsi dit-on si joliment au Japon « il y a de l’amour entre nous ».
Peu importe le sexe et le genre de celui/celle, de celuiel qui aime et souffre et se réjouit et se lamente – de même que si l’on ôte nos peaux de couleurs différentes, l’on trouve le même système de muscles, d’os et d’artères. Et pourtant, cela importe aussi, qu’un amour soit vécu dans le secret, la clandestinité, la réprobation morale – sociale, politique, religieuse – et ose se dire et se définir tout haut – pire : ose se dresser et se hisser à la hauteur d’une tradition prétendument réservée à une forme d’amour plus normée (d’aucuns oseront sans doute « normale »).
Lorca choisit pour cela de s’inscrire dans la forme la plus contrainte, celle du Sonnet, et dans une lignée littéraire qui va de Pétrarque à Gongora en passant par Shakespeare, Ronsard, Saint-Jean de la Croix, Baudelaire et continue jusqu’à Cocteau et Pasolini. Deux choix éloquents : le sonnet, comme une forme qui canalise les débordement, le déferlement sexuel et amoureux, dont la mesure encadre la démesure d’un amour immense ; et un geste presque filial pour se placer dans la continuité, se faire l’héritier de ceux qui chantèrent l’amour – sans doute pour rendre à cet amour dit « différent » tout son droit à se dire avec ardeur et à se vivre dans l’indifférence.
Qu’il s’agisse d’une histoire charnelle ou spirituelle – ou peut-être des deux à la fois – est finalement accessoire : comme dans tout amour, les deux niveaux se mêlent étroitement, dans un enlacement sans fin, digne des grands mystiques espagnols. Poème et musique rendent compte, viennent témoigner de cette de cette nuit obscure traversée par une flamme d’amour vive, et du besoin d’aller, coûte que coûte, au moins par écrit, à la recherche de [ce] qui vous est indispensable.
Des textes brûlants incarnés par la voix, le corps et la grâce du comédien Antoine Thiollier.