LA JOIE EST PLUS PROFONDE QUE LA TRISTESSE

concert orchestre

ÉGLISE SAINT CORNÉLY
Place de l’Eglise
Carnac (centre bourg)

samedi 6 septembre | 21H

Orchestre du Festival
Clément Mao – Takacs, direction

PROGRAMME

RICHARD WAGNER
< Die Meistersinger von Nürnberg
• Vorspiel  < Akt III
• Tanz der Lehrbuben

DARIUS MILHAUD
Lamentation

ROBERT DAUBER
Sérénade

DMITRI CHOSTAKOVITCH
Suite

JACQUES OFFENBACH
Barcarolle < Les Contes d’Hoffmann
Galop Infernal < Orphée aux Enfers

JOHANN STRAUSS
Ouverture < Die Fledermaus

Longtemps je me suis demandé : pourquoi y-a-t-il des musiques gaies et des musiques tristes ? Pourquoi certaines musiques semblent à la fois entretenir, soulager, apaiser une souffrance ? Pourquoi certaines musiques semblent éveiller comme instinctivement en nous le besoin de danser, de chanter, d’exulter ? Mais surtout : pourquoi certaines musiques graves, lentes, sérieuses, douloureuses nous donnent une telle joie, et pourquoi certaines musiques joyeuses possèdent quelque chose qui nous serre le cœur ?

Pourtant, à bien y regarder – à bien y écouter –, la musique n’exprime rien d’autre qu’elle-même, et, en même temps, exprime tout ce qu’on projette sur elle. D’un côté, elle semble nous parler sans cesse de nous-mêmes, du présent que nous vivons ; de l’autre, elle demeure immuablement comme un repère, capable de réouvrir ad infinitum les mêmes espaces émotionnels, comme une source qui jaillirait à chaque fois avec le même goût ferrugineux intact, avec la même force, la même fraîcheur – quel que soit le nombre d’écoutes.

La musique offre à qui l’écoute attentivement – c’est-à-dire à qui fait l’effort de l’entendre – plusieurs niveaux : celui de la découverte, de la première écoute absolue, émerveillée ou hostile ; celui de la réactivation du plaisir par la réécoute, dans un double mouvement où l’on s’observe pour vérifier si la musique provoque bien telle émotion ressentie par nous à tel endroit de la partition, et où l’on triche déjà un peu en se préparant à ressentir cette émotion lorsque tel accord, telle marche harmonique, tel instrument, telle phrase musicale, tel rythme, telle note résonnent ; et puis, il y a tout ce que l’on perçoit, consciemment et/ou inconsciemment, d’une œuvre, et qui fait partie de son histoire propre – des circonstances de sa création, de l’évolution de son interprétation, de son utilisation parfois détournée et des ramifications qu’elle entretient avec d’autres œuvres d’art.

Dans ce programme, nous nous poserons la question suivante : qu’écoutons-nous, au juste ? Des musiques souvent jouées, d’autres jamais jouées ; nous jonglerons entre le Connu et l’Inconnu, entre le Familier et l’Étranger. Qu’écoutons-nous lorsque nous écoutons un air que nous pensons connaître par cœur – et surtout : l’écoutons-nous encore vraiment, ou sommes-nous engourdis par le bonheur de l’habitude ? Quand une partition inconnue s’offre à nous, qu’est-ce que notre oreille lui trouve ? Ainsi en est-il de l’amour : celui donné ou refusé par les parents nous accompagnera d’emblée, dès notre naissance, et nous développerons toute une gamme de réflexes à son égard ; celui qui naît d’un coup de foudre pour un être qui, parfois, souvent, ne nous plaît pas de prime abord (voire nous révulse !), mais qui, à force de le fréquenter, nous devient aussi essentiel que le pain et l’eau.

Qu’y-a-t-il derrière ces surfaces noires et blanches, ces portées de cinq lignes sur lesquelles on griffonne des notes qui provoquent en nous des émotions multiples – ou sur lesquelles nous projetons nos émotions ? Pourquoi, comment au cœur des ténèbres de la barbarie et de l’oppression, un compositeur peut-il écrire de la musique joyeuse, ironique, burlesque ? Pourquoi, comment un compositeur peut-il écrire la musique la plus triste du monde au moment même où il est le plus heureux des hommes ? Et, au-delà de ce creuset où se mêlent vies, sentiments, création, Histoire, quels espaces de réflexion – à tous les sens du terme – la musique ouvre-t-elle en nous qui pensons venir simplement au concert pour nous divertir, nous délasser, nous détendre ?

Tandis que nous écoutons de la musique, nous déposons notre fardeau quotidien de pensées et d’émotions, ou plus exactement, nous le déposons sur les ailes de la musique, et nous nous déposons nous-mêmes aussi pour mieux nous reprendre à la sortie du concert. Mais en sortant du concert, qu’est-ce qui s’est déposé en nous, à notre insu ? Nous sommes les mêmes et cependant nous sommes, même très légèrement, différents, changés, purifiés. Une mystérieuse opération alchimique semble avoir eu lieu, nous restituant à nous-mêmes, qui nous laisse enrichis, allégés, transformés, transmutés.

C’est alors que, les idées à la fois plus confuses et très nettes comme au sortir d’un rêve, nous devrions suivre ce que nous dicte notre cœur : dire les mots, gros ou tendres, que nous retenons ; laisser fluer les sentiments, beaux ou laids, qui nous animent ; sourire à et serrer dans nos bras la voisine inconnue ou l’être qu’on chérit ; noter la pensée fulgurante qui nous vient et qui illuminera des zones d’ombres qu’on redoute d’ordinaire ;  et surtout, demeurer dans cet état d’ouverture où toute chose semble circuler librement à travers nous, où tout nous semble possible, où accueillir et être accueilli ne forment plus qu’un seul et même mouvement.