LE MAL DES FANTÔMES

concert-lecture

ÉGLISE SAINT CORNÉLY
Place de l’Eglise
Carnac (centre bourg)

mardi 2 septembre | 21H

Maïa Brami, lecture
Dimitri Malignan, piano

PROGRAMME

BENJAMIN FONDANE
Exode – Super flumina Babylonis

MAURICE RAVEL
Kaddisch
[ arrangement Siloti ]

HENRIËTTE BOSMANS
6 Préludes
•  n° 1 (Moderato assai)
•  n° 2 (Lento assai)
•  n° 4 (Allegretto)

LEO SMIT
Suite pour piano
•  Prélude
•  Forlane
•  Rondeau

HANS GÁL
Drei Kleine Stücke, op. 64
•  Humoresque
•  Melody
•  Scherzino

DAN BELIFANTE
>Sonatine n° 3
•  Moderato
•  Adagio
•  Allegro moderato, con spirito
>Paysage Nocturne – Tableau de Jan Broeze

ARTHUR HONEGGER
Mimaamaquim (Des profondeurs de l’abîme) – Psaume CXXX (1946)
[ arrangement Dimitri Malignan ]

Il y a des paroles nécessaires, et celle de Benjamin Fondane en fait partie. Pourtant, comme la plupart des musicien•ne•s joué•e•s dans ce concert, sa parole a été étouffée. Par l’Histoire, et peut-être surtout parce que c’est une parole droite, une parole fière, une parole lucide, qui ose regarder et nommer ce que le Poète voit.

Fondane est de cette génération d’Européens qui sont tout à la fois : poète, homme de théâtre, philologue, essayiste. Il pense et écrit en plusieurs langues ; exilé de sa, de ses langues natales, il sait ce que veut dire parler avec sa propre voix dans une autre grammaire, avec un vocabulaire différent : sans cesse, on a le sentiment qu’il traduit quelque chose qui viendrait d’une langue originelle – sa connaissance des textes sacrés et sa culture y sont sans doute pour quelque chose.

Ce concert-lecture fait partie du projet MISSING VOICES initié depuis plusieurs années par Dimitri Malignan, et qui rejoint l’un des axes développés par Clément Mao – Takacs dans le cadre de ses activités et notamment du Festival Terraqué : comment faire acte de mémoire, comment rendre justice aux compositeurs et compositrices, aux auteurs et autrices, à tous les artistes ostracisés, piétinés, balayés par le IIIème Reich ?

Ce que l’on entend ici, ce sont des musiques que l’on a réduites au silence ; des œuvres qu’on a cessé de jouer parce qu’on les disaient appartenir à une forme artistique trop moderne, et qu’on a qualifiées de « dégénérées ». Tout ce qui dérange, tout ce qui progresse, tout ce qui réfléchit et fait réfléchir a été alors rejeté impitoyablement, dans une volonté atroce d’épuration. On a cessé de jouer ces œuvres, on en a interdit la diffusion, on a brûlé des livres, des tableaux, des partitions.

Cette violence ne s’est pas arrêté aux œuvres : elle s’est attaquée aux créateurs et créatrices. Traquer, pourchasser, exterminer, faire disparaître ceux et celles qui créent et par-là-même, s’opposent et s’arcboutent.

Une fois devenus cendres anonymes, corps exsangues, cette violence a continué, car on a oublié ces productions artistiques, on a invisibilisé ces œuvres, on a fait tabula rasa – comme si tout cela n’avait jamais existé.

Il a fallu des mains et des oreilles attentives, des yeux et des cerveaux patients pour rechercher, reconstituer, compléter, éditer ce que la barbarie avait disséminé, détruit, écrasé. Or ces musiques nous racontent une autre histoire : celle d’une vie artistique forte, brillante, engagée, vivante, chaleureuse. Elles contrastent, même au plus fort de la tourmente, avec le sombre de l’horreur. Parfois, en pleine Seconde Guerre Mondiale, elles plongent au cœur d’un paysage si noir qu’il serre le cœur ; mais souvent, elles luttent à leur manière, elles pirouettent, elles refusent d’obéir et de se plier à des règles absurdes éditées par des fonctionnaires trop zélés.

Ce que ces musiques nous disent, c’est qu’elles refusent le banal, et qu’elles veulent la vie libre qui leur fut refusée ; elles nous exhortent, comme les textes de Fondane, à relever la tête. Et c’est notre devoir à toutes et à tous de regarder et de nommer l’horreur, d’énoncer à haute voix ce qui est imprescriptible – avec netteté, avec dignité, avec simplicité, sans rien omettre. Entende qui a des oreilles ! Car celui ou celle qui bouche les siennes et se détourne commet à nouveau un meurtre.