PAVOT ET MÉMOIRE

concert voix et piano

ÉGLISE SAINT CORNÉLY
Place de l’Eglise
Carnac (centre bourg)

mercredi 3 septembre | 21H

Marie-Laure Garnier, soprano
Clément Mao – Takacs, piano

PROGRAMME

ERNEST BLOCH
Visions et Prophéties

GUSTAV MAHLER
Erinnerung

RICHARD WAGNER
Récit « Ich sah das Kind an seiner Mutter Brust » (Kundry) < Parsifal

ERICH WOLFGANG KORNGOLD
Lied « Gluck, das mir verblieb » < Die tote Stadt

GUSTAV MAHLER
> Andante < Sixième Symphonie
[ arrangement Clément Mao – Takacs ]
> Rückert-Lieder
• Liebst du um Schönheit
• Blicke mir nicht in die Lieder
• Ich atmet’ einen linden Duft
• Um Mitternacht
• Ich bin der Welt abhanden gekommen

Se souvenir, de toutes ses forces – à toute force –, jusqu’à reconstruire la mémoire. Garder en tête, collecter patiemment les bribes, rassembler ce qui est épars. Essayer de reconstituer ce qui a été caché, enseveli, dérobé, perdu, oublié. Comment lie-t-on / lit-on un souvenir à une émotion, un visage à une musique, un acte à un mot : c’est tout cela qu’il nous faut apprendre à relier et à relire.

Souvent, c’est l’Autre qui nous tient lieu de mémoire, qui tient compte pour nous de ce que nous avons, sciemment ou non, décidé d’occulter. Par sa parole, nous retrouvons la mémoire, nous avons accès à des pans entiers de notre histoire. Même dans un cas d’amnésie, il arrive que la parole de l’Autre puisse nous permettre d’exister ou, du moins, d’interroger qui nous sommes et ce que nous avons fait.

D’une part, accepter que l’Autre soit dépositaire, en partie, de notre mémoire, c’est consentir à l’existence d’un récit divergent, d’un autre visage de nous-mêmes ; d’autre part, faire mémoire pour l’Autre – voire pour les autres –, c’est se constituer comme témoin et permettre de prolonger ce et/ou celui qui, trop fragile ou trop faible, a pu être brisé, détruit, anéanti.

La mémoire est aussi choix : se souvenir des belles choses comme des atrocités, pouvoir regarder en face qui vous a trahi, sans oubli mais sans rancœur, avec toute la pitié et la clémence qu’on peut avoir pour les êtres oublieux qui croient – et parfois s’enorgueillissent de – n’avoir pas de mémoire.

La mémoire est chemin : réminiscences, visions, prophéties, fulgurances, ressouvenance sont autant de voies pour parvenir à la perception et la conscience de nous-mêmes. Un être sans mémoire, un être qui prétendrait abolir sa mémoire, qui se voudrait éternellement neuf, sans passé est un égaré qui erre dans un désert sans fin et sans avenir – « le passé est futur » nous rappelle Vladimir Jankélévitch.

La mémoire est ce qui nous tient et nous maintient : un nom, un mot, un vers nous manque, et nous voilà perdus. Mais pas tout à fait : car au milieu d’une nuit d’horreur, c’est ce travail qui va nous tenir éveillés, et nous permettre de ne pas flancher – ainsi Primo Levi tentant de se souvenir d’un vers de Dante durant son internement en camp de concentration. Comme dans un conte, on se met à sa recherche, mais rien ne vient – en apparence. En réalité, nous avons enclenché un mouvement, une quête, et même si elle nous semble errance, c’est cette démarche qui fera apparaître, en temps utile, le nom, le mot, le vers qui nous sont nécessaires et nous ont maintenu en vie.

De là, sans doute, ces boucles qui nous (r)amènent à tressaillir devant un profil, une inflexion, une silhouette, un visage, un sourire, un regard, une personnalité qui nous rappellent ce qu’on a aimé et/ou haï. Obstinément, comme dans un labyrinthe cauchemardesque, on arpente et l’on reprend les mêmes chemins de l’amour, on se retrouve devant les mêmes paysages alors qu’on pensait avoir pris une voie différente.

Mais la mémoire peut nous guider, nous permettant d’aller à chaque fois un peu plus loin dans l’exploration de ce bref moment cependant si riche qu’est une vie d’homme, jusqu’à ce privilège insigne : vivre, et se souvenir qu’on a vécu.